François Nicoullaud, l’ancien ambassadeur de France en Iran, lors d'une interview exclusive accordée à l'IRNA, s'est exprimé sur l'avenir du JCPOA.
Cette brillante figure du Quai d'Orsay, aujourd'hui en retraite, a une longue carrière dans la diplomatie française. L'auteur de plusieurs ouvrages à propos de l'Iran, il est toujours invité par les grands médias francophones comme un expert des questions sur l'Iran. François Nicoullaud est entré au ministère français des Affaires étrangères en 1964. Dans sa carrière diplomatique, occupe notamment les postes de deuxième secrétaire d'ambassade à Santiago du Chili (1973-1975) chef de cabinet du général gouverneur militaire français de Berlin (1975-1978), consul général à Bombay (1986-1988), ambassadeur à Budapest (1993-1997), ambassadeur à Téhéran (2001-2005). Nicoullaud a exercé aussi des missions aux ministères français de la Défense et de l'Intérieur. Il a également présidé le conseil d’administration de l’Agence pour l'enseignement français à l'étranger et siège au conseil d'administration de l'Agence française de développement (1998-2000). Il travaille, depuis 2005, en tant qu'analyste des questions internationales en particulier l'Iran et le Moyen-Orient.
Vous trouvez ci-dessous l'interview exclusive de l'IRNA avec François Nicoullaud:
1) Les sanctions américaines, qui ont entravé l'accès de l'Iran aux médicaments et à l'équipement médical et ont rendu plus difficile pour l'Iran de lutter contre le coronavirus, peuvent maintenant empêcher l'Iran d'avoir tout accès au vaccin COVID-19. Que pensez-vous de ces sortes de sanctions qui visent la santé humaine?
François Nicoullaud: J'espère beaucoup qu'une des premières décisions de Joe Biden sera de rendre enfin possible l'accès sans restriction de l'Iran à tous les médicaments et équipements médicaux dont il a besoin. Ce geste peut être fait très vite, sans aucune contrepartie, et cela créerait une atmosphère favorable à l'ouverture d'un dialogue.
2) À votre avis, quels étaient les objectifs cachés de l'assassinat d'un éminent scientifique iranien et qui sont des acteurs éventuels de cette terreur? Quelles sont les conséquences ou les retombés de l'assassinat de scientifiques et de personnalités scientifiques des pays?
François Nicoullaud: En 2018, Benyamin Netanyahou avait publiquement désigné Mohsen Fakhrizadeh comme le premier responsable d'un programme nucléaire iranien. L'assassinat de ce scientifique iranien paraît se situer dans la droite ligne de cette déclaration. Ce serait alors le cinquième scientifique nucléaire ainsi tué depuis les premiers attentats en 2010. Si cette hypothèse est la bonne, et personnellement, je crois qu'elle est la bonne, mieux valait agir avant l'inauguration de Joe Biden, pour ne pas mal commencer la relation entre Israël et la nouvelle administration américaine. En effet, il faut se souvenir que lorsque Biden était vice-président des Etats-Unis, ce genre d'attaque avait été condamné par les Américains, qui avaient tenu à dire qu'ils n'avaient rien à voir dans ces actions.
3) Joe Biden, le président élu des Etats-Unis a manifesté son intention de rejoindre à l’accord nucléaire iranien (JCPOA), mais il l’a qualifié quand même de « difficile » , pourquoi à votre avis, une telle « intention » ? Et pourquoi ce retour est « difficile »?
François Nicoullaud: Joe Biden était vice-président d'Obama quand le JCPOA a été négocié et conclu. Il a toujours soutenu cet accord. Il est donc logique qu'il manifeste l'intention d'y ramener les Etats-Unis. Mais ceci peut être rendu compliqué en raison de l'état de l'opinion américaine à l'égard de l'Iran, et surtout des positions du Congrès américain. Biden sera-t-il soutenu par le Congrès et surtout par le Sénat? Contrairement à ce que l'on croit souvent, le Président américain n'est pas tout-puissant, il ne peut pas agir en sens contraire des grands courants de son opinion. Sur ce point, il est certain que la façon dont l'Iran lui-même se comportera, aura une influence sur l'évolution de cette opinion américaine et donc sur la suite des évènements. Il y a au départ avec Joe Biden une bonne volonté américaine.
4) Les Européens ont toujours parlé de la nécessité pour l'Iran de revenir à ses obligations envers de JCPOA mais ils n’ont pas pris de mesures efficaces pour préserver cet accord. Est-ce qu’à votre avis, les Européens veulent-ils vraiment maintenir le JCPOA? y a-t-il, à votre avis, assez de volonté et indépendance chez les Européens à ce sujet? Qu'est-ce qui fait peur à l'Europe à l’égard de ses obligations?
François Nicoullaud: Oui, les gouvernements européens ont clairement eu et ont toujours la volonté de préserver les bénéfices du JCPOA, même s'il faut reconnaître que cette volonté a été impuissante devant la politique agressive de Donald Trump. Mais on ne pouvait demander aux Européens de se fâcher sérieusement avec l'Amérique, avec laquelle ils ont trop de liens à la fois historiques et actuels. En revanche, l'Amérique a changé avec l'arrivée de Joe Biden et les circonstances sont maintenant favorables pour que les Américains et les Européens se rapprochent ensemble de l'Iran et redonnent vie au JCPOA. Les Européens sont déterminés à conserver le JCPOA et le considèrent comme un facteur de stabilité et de sécurité dans la région.
5) Ça fait plus de quarante ans que la Révolution islamique s'est réalisée en Iran. Pendant toues ces années, le pays était face aux sanctions, à la guerre imposée 1980-1988 et aux pressions internationales mais il est toujours resté debout comme un pouvoir régional. Quel est la raison de la persistance de la révolution islamique et la résistance du pays devant des pressions internationales?
François Nicoullaud: Contrairement aux prédictions des mêmes médias occidentaux, la République islamique est toujours là après quarante ans d'existence. D'abord, parce les Iraniens, en leur très grande majorité, n'ont pas envie de voir leur vie bouleversée par une nouvelle révolution. Ensuite. parce que la République islamique a su tirer les leçons des erreurs du Chah. Elle a su s'organiser de façon beaucoup plus solide que le Chah qui avait fini par faire contre lui la quasi-unanimité de la population. L'alliance des classes moyennes et des classes populaires qui avait permis de faire tomber le Chah ne s'est plus jamais renouée.
6) Vous étiez en Iran pendant plusieurs années en tant qu'ambassadeur de France et vous avez une bonne connaissance de la culture et de l'ambiance de la société iranienne. Comment évaluez-vous les capacités du pays (le tourisme, l’économie, le commerce et…) et quel est votre avis sur la culture du peuple iranien?
François Nicoullaud: Si l'on considère le niveau d'éducation très élevé et la culture très originale du peuple iranien, il est clair que l'Iran a des capacités de développement immenses. Il est clair aussi que ces capacités exceptionnelles n'ont pas pu s'épanouir autant que souhaitable en raison de nombreuses circonstances négatives : guerres, pressions extérieures, sanctions…
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